Un manuscrit vieux de 1500 ans ferait trembler le Vatican? Rumeurs et faits.

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Juin 282014
 

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Un manuscrit ancien… trouvé chez des brigands… par la police turque… des secrets… cachés depuis 1500 ans… le Vatican a peur… Voilà la recette parfaite pour produire un best-seller et fabriquer une rumeur virale sur internet!

Poussant l’audace un cran plus loin, un site web affirme que les photos sur leur site ont été hackées. Ah!! Certainement l’oeuvre de l’Opus Dei qui a peur de cette «bombe» médiatique! L’article est donc remis en ligne! Le public doit savoir!!

Du bon théâtre en tout cas!

La prochaine fois qu’ils se font hacker pour ça, ils pourront se consoler en se disant que des photos de ce manuscrit circulent à grande échelle sur internet. Par ailleurs, faut-il qu’un hackeur ait du temps à perdre pour hacker un site web pour si peu…

 

Ce que les médias en disent.

Il s’agirait d’un manuscrit ancien, vieux de 1500 ans et serait écrit en araméen. Certains médias en profitent alors pour préciser que l’araméen était la langue parlée par Jésus!

Quoi d’autre? Le manuscrit contient…? Quoi au juste? Les médias sont confus. Certains parlent d’une vieille bible, d’autres mentionnent un évangile perdu de Barnabas qui aurait été retiré de la Bible… mais quand? Encore là, confusion. Certains médias affirment que c’est lors de la promulgation de l’Édit de Milan, d’autres précisent que c’est lors du Concile de Nicée et, bien entendu, l’empereur Constantin aurait eu son mot à dire dans l’entreprise de censure de cet évangile perdu et désormais retrouvé! Le vieux livre contiendrait ainsi une version différente de la vie de Jésus. Notamment, il n’aurait pas été crucifié! C’est plutôt Judas qui aurait été crucifié à sa place. L’apôtre Paul serait désigné dans ce livre sous le surnom d’ «imposteur». Mais plus troublant encore, Jésus annoncerait la venue de Mahomet, le prophète de l’Islam! Tout pour faire trembler les plus hautes sphères du Vatican et ébranler la foi des fidèles!

Enfin, le livre vaut cher! Entre 3 et 4 millions de dollars américains, selon certains médias alors que d’autres nous parlent de rien de moins que 28 millions de dollars!

Des faits

La soi-disante nouvelle au sujet de ce manuscrit n’a rien d’une nouvelle. C’est quelque chose qui circule depuis plusieurs années et qui revient périodiquement dans l’actualité pendant la période de Pâques. Ce sont surtout, à quelques exceptions près, des médias de pays musulmans qui en parlent (cherchez sur google, vous verrez). Le site web Le monde des religions est une de ces exceptions. Il en avait en effet fait une nouvelle (vous pouvez lire ça ici). Ça peut surprendre, puisque ce site web est considéré comme étant sérieux et impartial par le public en général. Il arrive sans doute que des pigistes rédigent leurs articles et que l’éditeur publie sans se poser de questions. Mais ça, c’est une autre histoire…

Le manuscrit n’est pas si ancien.

D’une part, il n’est pas en araméen palestinien qui est la langue parlée à l’époque de Jésus, mais plutôt en syriaque. Certains médias donnent cette précision, mais pas tous. Certains médias insistent vivement sur le fait qu’il est écrit «dans la langue de Jésus» (Le monde des religions, justement ne précise pas qu’il s’agit du syriaque…) Le syriaque est un dialecte araméen, mais un dialecte plutôt originaire d’Édesse en Syrie (aujourd’hui située en Turquie, près de la frontière syrienne moderne). Autre signe de modernité, Il ne s’agit pas de la graphie classique du syriaque que l’on nomme estrangelo, mais d’une graphie plutôt moderne dite chaldéenne (ou graphie syriaque de l’est, ou nestorienne). J’avoue ici que le grand public ne peut que difficilement faire la différence et voilà pourquoi on fait confiance, à-priori, à ce que les sites de nouvelles en disent. Mais le détail le plus important qui vient clore le débat est ce que dit l’inscription que l’on peut voir sur certaines photos en ligne du manuscrit. Voici une de ces photos (si vous cherchez sur le web, vous verrez que des photos de cette page, il y en a beaucoup et sous plusieurs angles).

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Il se trouve que le syriaque est une langue que je lis assez bien. Je l’ai apprise il y a plusieurs années à l’Université Laval. On lit donc ceci (j’utilise la police de caractères syriaques unicode Estrangelo Antioch, bien que le manuscrit soit écrit en caractères dit chaldéens – si vous ne voyez pas les caractères syriaques, cliquez ici) : Le manuscrit à été produit  à Ninive (= en syriaqueܒܢܝܢܘܐ). La suite est encore plus intéressante :

en l’année 1500 de notre Seigneur (= en syriaque ܐܠܦ ܘܚܡܫܡܐ ܕܡܪܢ)

Le manuscrit a donc été produit en 1500 de notre ère et non pas «il y a 1500 ans» comme le disent les médias… Une faute de lecture ou une malhonnêteté bien dirigée?

Affaire réglé pour ce qui est de l’âge du manuscrit 🙂

 

Lisez la suite, il est question du contenu du manuscrit!

 

Juin 252014
 

L’article est disponible (en anglais) sur le blog d’Alin Suciu :

The Codicology of the New Coptic (Lycopolitan) Gospel of John Fragment (and Its Relevance for Assessing the Genuineness of the Recently Published Coptic “Gospel of Jesus’ Wife” Fragment) (traduction du titre : La codicologie du nouveau fragment copte (Lycopolitain) de l’Évangile de Jean (et sa pertinence afin de déterminer l’authenticité du fragment copte de “L’Évangile de l’épouse de Jésus”)

Je cite :

For myself, this codicological analysis of the John fragment strengthens still further the conclusion to be drawn from observations that other scholars have brought forward in recent weeks about its text, orthography, and paleography. I do not see how there can be any room for doubt in anyone’s mind that the John fragment is but the product of a hoax. That this conclusion has implications for judging the genuineness of the Gospel of Jesus’ Wife fragment is obvious, and the demonstrable certainty that the John fragment is a fake confirms me in the opinion that the Gospel of Jesus’ Wife fragment too is a fake, a product of the same hoax that has brought us a new (but worthless) witness to the dialect-L5 Coptic version of the Gospel of John.

 

 

En marge du Graduate Enoch Seminar Montréal 2014

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Juin 062014
 

Billet écrit en marge du Graduate Enoch Seminar 2014 qui s’est tenu à Montréal du 20 au 23 mai aux universités McGill et Concordia. Je tiens à remercier les professeurs Lorenzo DiTommaso, Concordia University Montreal and Gerbern S. Oegema, McGill University, ainsi que Isaac W. Oliver, Bradley University de m’avoir invité. J’ai eu l’honneur d’animer le dernier atelier qui a clôturé le congrès!

Vous trouverez ici la liste des participants et un résumé des textes présentés et discutés en ateliers. Dans la mesure où vous pouvez lire les résumés en ligne, je ne commenterai pas chacun des ateliers.

Photo de groupe Enoch Graduate Seminar 2014 Montréal

Photo de groupe
Enoch Graduate Seminar 2014
Montréal

 

Se sont ajoutés à ces présentations en atelier quelques grandes conférences :

– James H. Charlesworth (Princeton Theological Seminary): “The Old Testament Pseudepigrapha – Thirty Years Later” qui a dressé le bilan des progrès des études sur les apocryphes (ou pseudépigraphes) juifs depuis la parution originale de son volume consacré à cette littérature. Il a encouragé les chercheurs à explorer cette littérature si importante pour le judaïsme de la période du Second Temple et pour les origines et le développement du christianisme.

Pour vous procurer les livres du professeur Charlesworth sur amazon : The Old Testament Pseudepigrapha: Apocalyptic Literature and Testaments

– Pierluigi Piovanelli (Université d’Ottawa): “Jewish or Christian? Early or Late? The Challenge of Dealing with Christian Apocryphal Literature Today.” Voici sa conclusion :

In conclusion, if you wish to engage with Jewish and/or Christian apocryphal literature,

Always start with the manuscripts (codicology, paleography, textual criticism, philology).

Read your text synchronically, as a story (narrative and/or rhetorical approaches).

Explore the intertextual world of your text.

Identify the socio-historical context of your text.

Be aware of the work and the presuppositions of previous scholarship (especially of positivist and maximalist tendencies).

Be aware of your own presuppositions.

Be neither maximalist nor minimalist.

BUT DO YOUR BEST TO BE HOLISTIC!

 

 

– Loren T. Stuckenbruck (Ludwig-Maximilians-Universität München): “Tributaries to the New Text-Critical Edition of 1 Enoch.” Le professeur Stuckenbruck nous a présenté un exposé fascinant sur les manuscrits du livre d’Enoch qui sont conservés dans des monastères en Éthiopie. Le tout illustré de photos qu’il a prises lui-même.

– Albert I. Baumgarten (Bar Ilan University) et James H. Charlesworth (Princeton Theological Seminary): “Academic Life after the Ph.D.”. Ces deux éminents professeurs ont prodigué quelques conseils sur comment mener une carrière de chercheur qui soit à la fois fructueuse et enrichissante. Ils se sont même permis quelques confidences!

– Gabriele Boccaccini (University of Michigan and Founder of the Enoch Seminar): “Five Centuries of Enochic Studies, from Florence 1486 to Montreal 2014.” L’étude du livre d’Enoch est intimement liée à l’histoire de l’ésotérisme occidental. Que dire de plus…? 😉

– André Gagné (Concordia University/ Université Concordia): “What is Gnosticism? Reassessing the Nomenclature.” Le professeur Gagné a présenté un état de la question très engagé et complet sur l’état de la question de l’étude du gnosticisme et des nombreuses définitions et classifications proposées dans les milieux académiques depuis la découverte des textes de Nag Hammadi. La question se pose : Est-ce que nous lisons les textes ou bien si le débat est polarisé autour de la question de l’attribution des textes aux écoles séthiennes, ophites ou valentiniennes? Lisons-nous ces textes en tenant compte du contexte dans lequel ils ont été composé ou simplement à partir des tentatives de classifications modernes et des typologies d’écoles?

 

Le personnage d’Enoch (ou Hénoc) vous intéresse? Les fondateurs et quelques membres du Enoch Seminar ont mis sur pieds une encyclopédie virtuelle et gratuite!  Consultez-là et découvrez à quel point elle constitue une véritable mine d’or : 4 Enoch: The Online Encyclopedia of Second Temple Judaism

 

** source de l’image : William Blake, חניך/(”Enoch”), 1806-1807