Juil 022014
 

Si vous arrivez sur cette page par hasard, allez lire le début ici : Un manuscrit vieux de 1500 ans ferait trembler le Vatican? Rumeurs et faits.

Nous avons montré dans l’article précédent que le manuscrit n’est pas écrit dans la langue de Jésus qui était l’araméen palestinien. Le manuscrit est écrit en syriaque, un dialecte de l’araméen qui s’est développé plutôt au nord-est de la Palestine, dans la région d’Édesse, dans la Syrie antique (aujourd’hui situé en Turquie, près de la frontière avec la Syrie moderne).

Nous savons aussi que ce manuscrit n’est pas si ancien que ça. Le colophon dit en effet que le manuscrit a été copié en l’année 1500 de notre ère.

Mais qu’en est-il de son contenu présumé? Certains médias rapportent la nouvelle et disent que le Vatican tremble face à la possibilité que ce manuscrit soit rendu public! Il contiendrait en effet l’Évangile de Barnabé (ou Barnabas)…

Les faits sont pourtant tout autres! En effet, à la lumière des photos mises en ligne, on constate bien autre chose. Le syriaque est une langue que je lis, je l’ai apprise à l’Université Laval il y a plusieurs années. Même si la résolution des photos mises en ligne n’est pas très bonne, nous en avons sous plusieurs angles et on peu les agrandir un peu. J’arrive donc à lire ceci grâce aux photos (et je vous reproduis ça avec mes nouveaux très beaux caractères que je n’avais pas il y a quelques jours et que je viens d’installer (police unicode  “East Syriac Adiabene” – si vous ne voyez pas les caractères syriaques, cliquez ici) :


syriac2aܒܫܡ ܐܒܐ ܒܪܐ ܘܪܘܚܐ

ܕܩܘܕܫܐ ❊ ܘܐܠܦܘ ܐܢܘܢ

ܕܢܛܪܘܢ ܟܠ ܡܐ ܕܦܩܕܬܟܘܢ

ܘܗܐ ܐܢܐ ܥܡܟܘܢ ܐܢܐ ܟܠܗܘܢ

ܝܘܡܬܐ ܥܕܡܐ ܠܫܘܠܡܗ

ܕܥܠܡܐ

ܐܡܝܢ

Traduction :

« dans le nom du Père, Fils et Esprit saint.  Et enseignez leur de garder tout ce que je vous ai commandé. Et voici, moi je suis avec vous tous les jours jusqu’à la fin du monde. Amen.» ETNOGRAFYA MUZESI'NE TESLIM EDILEN EL YAZMASI INCIL

syriac2b

 

Alors, c’est quoi ce texte? Est-ce un extrait de l’Évangile de Barnabé ou est-ce autre chose?

La réponse est sans équivoque : Il s’agit des derniers mots de l’Évangile canonique de Matthieu, chapitre 28, versets 19 (fin) et verset 20 (celui qui est inclus dans le Nouveau Testament standard – disons-le comme ça). C’est la version syriaque courante (à une petite variante près, si ma lecture est bonne – il manque en effet une conjonction de coordination entre les noms Père et Fils). C’est la version utilisée encore à ce jour dans la liturgie des églises syriaques qu’on appelle Peschitta. Un texte très standard donc et pas du tout “top secret” et encore moins susceptible de faire peur à qui que ce soit! J’en ai même un exemplaire dans ma bibliothèque personnelle!

Bon, ça demande quand même un brin d’explication parce que je suis au courant que certains livres populaires prétendent que la Peschitta était quelque chose de caché et de plus spirituel que le Nouveau Testament. En fait, la Peschitta des évangiles est une version syriaque produite au 5e siècle de notre ère à partir de la version grecque. Auparavant, les églises de langue syriaque utilisaient couramment une oeuvre intitulée Diatessaron qui constitue une édition en un seul livre des quatre évangiles de Matthieu, Marc, Luc et Jean. En d’autres mots, l’auteur du Diatessaron, un certain Tatien avait produit au deuxième siècle de notre ère une synthèse des 4 évangiles afin d’en faire un seul récit. De nombreuses églises de l’Antiquité avaient adopté le Diatessaron et le lisaient pendant la liturgie. De plus, deux autres traductions en syriaque plus anciennes avaient été produites au deuxième siècle, mais leur diffusion fut, semble-t-il, assez limitées. Afin donc de pallier à un manque et afin de posséder l’intégralité des quatre évangiles, plutôt qu’une synthèse, une nouvelle traduction fut produite afin qu’elle puisse être utilisée dans la liturgie des églises syriaques.

Conclusion au sujet du manuscrit qui ferait peur au Vatican: À la lumière des photos qui sont disponibles sur internet, il s’agit d’un exemplaire de l’Évangile selon Matthieu dans une traduction syriaque qu’on appelle la Peschitta, une version standard en usage jusqu’à ce jour dans les églises syriaques. Et nous avons vu dans l’article précédant que la copie aurait été réalisée en l’année 1500 de notre ère.

J’ai peine à croire qu’aucun média n’a eu la curiosité de vérifier ça. C’est tellement facile à vérifier en plus…

Pourquoi alors parler d’un exemplaire de l’Évangile de Barnabé? Et c’est quoi au juste cet évangile de Barnabé qui ferait trembler le Vatican? Pour le dire vite, cet évangile n’a rien de bien bien secret, et je serais étonné que le Vatican puisse trembler à la seule pensée qu’il pourrait être rendu public puisque j’en ai un exemplaire (une édition moderne publiée aux éditions Beauchesne en 1977) dans ma bibliothèque personnelle!! Il s’agit simplement d’un document rédigé dans des milieux musulmans qui n’est pas très anciens. Un exemplaire en langue italienne est préservé à Vienne. Celui-ci a été produit au début du 18e siècle. Il existe aussi un exemplaire en langue espagnole produit au 19e siècle, conservé en Australie. Celui-ci serait la copie d’un autre manuscrit espagnol du 17e ou du 18e siècle.

Rien pour faire peur à qui que ce soit!

 

 

Un manuscrit vieux de 1500 ans ferait trembler le Vatican? Rumeurs et faits.

 Actualité, Antiquité, Religieux, Universitaire  Commentaires fermés sur Un manuscrit vieux de 1500 ans ferait trembler le Vatican? Rumeurs et faits.
Juin 282014
 

syriaque1

 

Un manuscrit ancien… trouvé chez des brigands… par la police turque… des secrets… cachés depuis 1500 ans… le Vatican a peur… Voilà la recette parfaite pour produire un best-seller et fabriquer une rumeur virale sur internet!

Poussant l’audace un cran plus loin, un site web affirme que les photos sur leur site ont été hackées. Ah!! Certainement l’oeuvre de l’Opus Dei qui a peur de cette «bombe» médiatique! L’article est donc remis en ligne! Le public doit savoir!!

Du bon théâtre en tout cas!

La prochaine fois qu’ils se font hacker pour ça, ils pourront se consoler en se disant que des photos de ce manuscrit circulent à grande échelle sur internet. Par ailleurs, faut-il qu’un hackeur ait du temps à perdre pour hacker un site web pour si peu…

 

Ce que les médias en disent.

Il s’agirait d’un manuscrit ancien, vieux de 1500 ans et serait écrit en araméen. Certains médias en profitent alors pour préciser que l’araméen était la langue parlée par Jésus!

Quoi d’autre? Le manuscrit contient…? Quoi au juste? Les médias sont confus. Certains parlent d’une vieille bible, d’autres mentionnent un évangile perdu de Barnabas qui aurait été retiré de la Bible… mais quand? Encore là, confusion. Certains médias affirment que c’est lors de la promulgation de l’Édit de Milan, d’autres précisent que c’est lors du Concile de Nicée et, bien entendu, l’empereur Constantin aurait eu son mot à dire dans l’entreprise de censure de cet évangile perdu et désormais retrouvé! Le vieux livre contiendrait ainsi une version différente de la vie de Jésus. Notamment, il n’aurait pas été crucifié! C’est plutôt Judas qui aurait été crucifié à sa place. L’apôtre Paul serait désigné dans ce livre sous le surnom d’ «imposteur». Mais plus troublant encore, Jésus annoncerait la venue de Mahomet, le prophète de l’Islam! Tout pour faire trembler les plus hautes sphères du Vatican et ébranler la foi des fidèles!

Enfin, le livre vaut cher! Entre 3 et 4 millions de dollars américains, selon certains médias alors que d’autres nous parlent de rien de moins que 28 millions de dollars!

Des faits

La soi-disante nouvelle au sujet de ce manuscrit n’a rien d’une nouvelle. C’est quelque chose qui circule depuis plusieurs années et qui revient périodiquement dans l’actualité pendant la période de Pâques. Ce sont surtout, à quelques exceptions près, des médias de pays musulmans qui en parlent (cherchez sur google, vous verrez). Le site web Le monde des religions est une de ces exceptions. Il en avait en effet fait une nouvelle (vous pouvez lire ça ici). Ça peut surprendre, puisque ce site web est considéré comme étant sérieux et impartial par le public en général. Il arrive sans doute que des pigistes rédigent leurs articles et que l’éditeur publie sans se poser de questions. Mais ça, c’est une autre histoire…

Le manuscrit n’est pas si ancien.

D’une part, il n’est pas en araméen palestinien qui est la langue parlée à l’époque de Jésus, mais plutôt en syriaque. Certains médias donnent cette précision, mais pas tous. Certains médias insistent vivement sur le fait qu’il est écrit «dans la langue de Jésus» (Le monde des religions, justement ne précise pas qu’il s’agit du syriaque…) Le syriaque est un dialecte araméen, mais un dialecte plutôt originaire d’Édesse en Syrie (aujourd’hui située en Turquie, près de la frontière syrienne moderne). Autre signe de modernité, Il ne s’agit pas de la graphie classique du syriaque que l’on nomme estrangelo, mais d’une graphie plutôt moderne dite chaldéenne (ou graphie syriaque de l’est, ou nestorienne). J’avoue ici que le grand public ne peut que difficilement faire la différence et voilà pourquoi on fait confiance, à-priori, à ce que les sites de nouvelles en disent. Mais le détail le plus important qui vient clore le débat est ce que dit l’inscription que l’on peut voir sur certaines photos en ligne du manuscrit. Voici une de ces photos (si vous cherchez sur le web, vous verrez que des photos de cette page, il y en a beaucoup et sous plusieurs angles).

syriaque2

 

Il se trouve que le syriaque est une langue que je lis assez bien. Je l’ai apprise il y a plusieurs années à l’Université Laval. On lit donc ceci (j’utilise la police de caractères syriaques unicode Estrangelo Antioch, bien que le manuscrit soit écrit en caractères dit chaldéens – si vous ne voyez pas les caractères syriaques, cliquez ici) : Le manuscrit à été produit  à Ninive (= en syriaqueܒܢܝܢܘܐ). La suite est encore plus intéressante :

en l’année 1500 de notre Seigneur (= en syriaque ܐܠܦ ܘܚܡܫܡܐ ܕܡܪܢ)

Le manuscrit a donc été produit en 1500 de notre ère et non pas «il y a 1500 ans» comme le disent les médias… Une faute de lecture ou une malhonnêteté bien dirigée?

Affaire réglé pour ce qui est de l’âge du manuscrit 🙂

 

Lisez la suite, il est question du contenu du manuscrit!

 

Avr 272012
 

Sur le blog de Michael Langlois :

Christian Palestinian Aramaic Unicode Font

La plupart des éditions utilisent des caractères syriaques pour noter les textes conservés en dialecte christo-palestinien (araméen occidental). L’alphabet est le même, mais ses caractères sont distincts dans les manuscrits. Alain Desreumaux a ainsi dessiné une belle police de caractères christo-palestiniens et l’a rendue disponible à la communauté scientifique. Elle s’utilise avec un clavier unicode syriaque. Michael Langlois en offre un qu’il a produit (le lien est sur son blog). Il est destiné aux clavier AZERTY. Pour les nord-américains, un clavier syriaque QWERTY est disponible sur le site de Michael Reißer.

Ce sont de beaux caractères. J’ai essayé sur divers traitement de textes. Sur OpenOffice pour Mac OS X (ce que j’utilise quotidiennement) ce n’est cependant pas concluant. Les liaisons ne se font pas. J’utilise des caractères unicodes pour le grec et le copte sur OpenOffice, mais je suis encore avec le true type pour les caractères sémitiques : SPEdessa pour le syriaque et SPTiberian pour l’hébreu et l’araméen biblique. Beth Mardutho recommande aux utilisateurs Mac le traitement de texte Mellel. J’ai jeté un coup d’oeil et ce n’est pas trop cher. Je viens de le télécharger et ils offrent 30 jours d’essai. Franchement, sur Mellel c’est concluant! Il ne me reste qu’à espérer qu’un généreux mécène achète pour moi la licence. 😀

ms036 schoyen collection

Palimpseste de la collection Schøyen (Schøyen 38).

Fragments de l’Évangile de Matthieu 26. 59-68; 26.70-27.2; 27.3-10 en araméen christo-palestinien.

Bibliographie

  • Alain Desreumaux, Codex sinaiticus Zosimi rescriptus. Description codicologique des feuillets araméens melkites des manuscrits Schøyen 35, 36 et 37, Lausanne : Éditions du Zèbre (Histoire du texte biblique 3), 1997, 208 p., 8 pl.
  • Christa Müller-Kessler, “Christian Palestinian Aramaic and Its Significance to the Western Aramaic Dialect Group”, Journal of the American Oriental Society 119 (1999), pp. 631-636.