Si vous arrivez sur cette page par hasard, allez lire le début ici : Un manuscrit vieux de 1500 ans ferait trembler le Vatican? Rumeurs et faits.
Nous avons montré dans l’article précédent que le manuscrit n’est pas écrit dans la langue de Jésus qui était l’araméen palestinien. Le manuscrit est écrit en syriaque, un dialecte de l’araméen qui s’est développé plutôt au nord-est de la Palestine, dans la région d’Édesse, dans la Syrie antique (aujourd’hui situé en Turquie, près de la frontière avec la Syrie moderne).
Nous savons aussi que ce manuscrit n’est pas si ancien que ça. Le colophon dit en effet que le manuscrit a été copié en l’année 1500 de notre ère.
Mais qu’en est-il de son contenu présumé? Certains médias rapportent la nouvelle et disent que le Vatican tremble face à la possibilité que ce manuscrit soit rendu public! Il contiendrait en effet l’Évangile de Barnabé (ou Barnabas)…
Les faits sont pourtant tout autres! En effet, à la lumière des photos mises en ligne, on constate bien autre chose. Le syriaque est une langue que je lis, je l’ai apprise à l’Université Laval il y a plusieurs années. Même si la résolution des photos mises en ligne n’est pas très bonne, nous en avons sous plusieurs angles et on peu les agrandir un peu. J’arrive donc à lire ceci grâce aux photos (et je vous reproduis ça avec mes nouveaux très beaux caractères que je n’avais pas il y a quelques jours et que je viens d’installer (police unicode “East Syriac Adiabene” – si vous ne voyez pas les caractères syriaques, cliquez ici) :
ܕܩܘܕܫܐ ❊ ܘܐܠܦܘ ܐܢܘܢ
ܕܢܛܪܘܢ ܟܠ ܡܐ ܕܦܩܕܬܟܘܢ
ܘܗܐ ܐܢܐ ܥܡܟܘܢ ܐܢܐ ܟܠܗܘܢ
ܝܘܡܬܐ ܥܕܡܐ ܠܫܘܠܡܗ
ܕܥܠܡܐ
ܐܡܝܢ
Traduction :
« dans le nom du Père, Fils et Esprit saint. Et enseignez leur de garder tout ce que je vous ai commandé. Et voici, moi je suis avec vous tous les jours jusqu’à la fin du monde. Amen.»
Alors, c’est quoi ce texte? Est-ce un extrait de l’Évangile de Barnabé ou est-ce autre chose?
La réponse est sans équivoque : Il s’agit des derniers mots de l’Évangile canonique de Matthieu, chapitre 28, versets 19 (fin) et verset 20 (celui qui est inclus dans le Nouveau Testament standard – disons-le comme ça). C’est la version syriaque courante (à une petite variante près, si ma lecture est bonne – il manque en effet une conjonction de coordination entre les noms Père et Fils). C’est la version utilisée encore à ce jour dans la liturgie des églises syriaques qu’on appelle Peschitta. Un texte très standard donc et pas du tout “top secret” et encore moins susceptible de faire peur à qui que ce soit! J’en ai même un exemplaire dans ma bibliothèque personnelle!
Bon, ça demande quand même un brin d’explication parce que je suis au courant que certains livres populaires prétendent que la Peschitta était quelque chose de caché et de plus spirituel que le Nouveau Testament. En fait, la Peschitta des évangiles est une version syriaque produite au 5e siècle de notre ère à partir de la version grecque. Auparavant, les églises de langue syriaque utilisaient couramment une oeuvre intitulée Diatessaron qui constitue une édition en un seul livre des quatre évangiles de Matthieu, Marc, Luc et Jean. En d’autres mots, l’auteur du Diatessaron, un certain Tatien avait produit au deuxième siècle de notre ère une synthèse des 4 évangiles afin d’en faire un seul récit. De nombreuses églises de l’Antiquité avaient adopté le Diatessaron et le lisaient pendant la liturgie. De plus, deux autres traductions en syriaque plus anciennes avaient été produites au deuxième siècle, mais leur diffusion fut, semble-t-il, assez limitées. Afin donc de pallier à un manque et afin de posséder l’intégralité des quatre évangiles, plutôt qu’une synthèse, une nouvelle traduction fut produite afin qu’elle puisse être utilisée dans la liturgie des églises syriaques.
Conclusion au sujet du manuscrit qui ferait peur au Vatican: À la lumière des photos qui sont disponibles sur internet, il s’agit d’un exemplaire de l’Évangile selon Matthieu dans une traduction syriaque qu’on appelle la Peschitta, une version standard en usage jusqu’à ce jour dans les églises syriaques. Et nous avons vu dans l’article précédant que la copie aurait été réalisée en l’année 1500 de notre ère.
J’ai peine à croire qu’aucun média n’a eu la curiosité de vérifier ça. C’est tellement facile à vérifier en plus…
Pourquoi alors parler d’un exemplaire de l’Évangile de Barnabé? Et c’est quoi au juste cet évangile de Barnabé qui ferait trembler le Vatican? Pour le dire vite, cet évangile n’a rien de bien bien secret, et je serais étonné que le Vatican puisse trembler à la seule pensée qu’il pourrait être rendu public puisque j’en ai un exemplaire (une édition moderne publiée aux éditions Beauchesne en 1977) dans ma bibliothèque personnelle!! Il s’agit simplement d’un document rédigé dans des milieux musulmans qui n’est pas très anciens. Un exemplaire en langue italienne est préservé à Vienne. Celui-ci a été produit au début du 18e siècle. Il existe aussi un exemplaire en langue espagnole produit au 19e siècle, conservé en Australie. Celui-ci serait la copie d’un autre manuscrit espagnol du 17e ou du 18e siècle.
Rien pour faire peur à qui que ce soit!