Les nouvelles vont vites! Ce matin, je publiais une mise à jour sans savoir qu’un gros morceau allait sortir en après-midi!
Christian Askeland présente le dossier… : «Jesus had a Sister-in-Law» (N.B. : Le titre de ce billet a été modifié suite à une controverse au sujet du mot «Ugly» présent dans le titre original)
*Addendum 25 avril 2014 : Mark Goodacre, «Jesus’ Wife fragment : the Forgery of the Associated Fragment» et «Illustrating the Forgery of Jesus’ Wife’s Sister Fragment»* (ce dernier billet contient une image du côté A du fragment de l’Évangile de Jean)
*Addendum 25 avril 2014 : Pour nos amis qui lisent le portugais, Julio Cesar Chavez, «A tinta do fragmento da “Esposa de Jesus” e a evidêcia (definitiva) de falsificação»*
*Addendum 26 avril 2014 : Alin Suciu, «The Gospel of Jesus’ Wife Papyrus. Final Considerations»
*Addendum 28 avril : «Christian Askeland, «The Forgery of the Lycopolitan Gospel of John»
*Addendum 25 juin 2014 : Stephen Emmel procède à une analyse codicologique du fragment et conclue à un faux.
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Pour l’expliquer en quelques mots, en essayant de simplifier, le dossier scientifique publié dans le Harvard Theological Review présente une datation du soi-disant papyrus de l’épouse de Jésus en le comparant avec un fragment de l’Évangile de Jean qui fait partie du même lot, qui appartient au même vendeur-collectionneur anonyme et dont la provenance est inconnue – déjà là, nous avons quelques drapeaux rouges.
Au sujet de l’encre, l’article publié dans la revue (sous le titre «Characterization of the Chemical Nature of the Black Ink in the Manuscript of The Gospel of Jesus’s Wife through Micro-Raman Spectroscopy») est en fait un condensé de deux pages et demi d’une étude plus substantielle (de 29 pages) qui est disponible sur le site web de l’Université Harvard. Voici cette étude (vous pouvez la télécharger à partir de cette page) :
James T. Yardley, Alexis Hagadorn, «Report: Ink Study of Two Ancient Fragments through Micro‐Raman Spectroscopy».
Ce qu’il y a de nouveau, ce que la communauté scientifique n’avait pas noté jusqu’ici, c’est que cet article présente des images recto-verso du fragment de papyrus de l’Évangile de Jean qui a été daté en même temps que le fragment de papyrus qui mentionne la femme de Jésus. Christian Askeland note que la graphie des deux papyrus est similaire – ce qui est normal. Mais le pot aux roses, c’est qu’il note aussi que le fragment de l’Évangile de Jean est en dialecte lycopolitain (ou subakhmimique, le dialecte numéroté L5) et qu’il présente un ordre des mots identique à une édition moderne de l’Évangile de Jean dans ce dialecte L5 édité en 1924 par Sir Herbert Thompson, The Gospel of St. John According to the Earliest Coptic Manuscript.. Voyez les images du fragment plus bas dans ce billet (mais ça prend une petite connaissance du copte pour apprécier l’affaire.)
En après-midi sur facebook, je notais (en anglais) ceci sur le babillard d’Alin Suciu :
Wow! Impressive! There is always one line skipped when we compare with Thompson’s edition! However, he wrote ebol in the fragment instead of abal in Thompson’s. Well, seems that C. Askeland find something big!
(traduction libre – puisque je me cite : Wow! Impressionnant! Le fragment présente toujours le texte avec un saut d’une ligne par rapport à l’édition de Thompson. Je note une différence, il a écrit ebol plutôt que abal. Christian Askeland semble avoir trouvé quelque chose d’important!)
Alin Suciu a publié quelques minutes après cette image qui le démontre clairement :
Lisez son article au complet : Alin Suciu, «Christian Askeland finds the “Smoking Gun”».
J’ai aussi écrit ceci sur son babillard :
Statistically, the chances for such a fragment to harmonize consistently with a line skip compared with Thompson’s edition are minimal. I made what you did, but with fragment A and the concordances are the same!
(traduction libre – puisque je me cite : Statistiquement, les chances sont faibles qu’un fragment puisse s’harmoniser avec autant de précision, avec un texte qui présente systématiquement un saut d’une ligne par rapport à l’édition de Thompson. J’ai fait la même chose que toi, mais avec le fragment A et j’arrive au même résultat!)
** Addendum 25 avril 2014 : Si vous voulez suivre le fil de discussion associé à cette image, sur le babillard facebook d’Alin Suciu, suivez ce lien (j’espère que ça marche, c’est la première fois que je mets un lien fb sur mon blog)**
** Addendum 26 avril 2014 : Voici l’image du côté A du fragment illustrant la concordance avec l’édition de Thompson (crédit Mark Goodacre)**
L’histoire n’est pas finie, j’en suis convaincu…
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Post Scriptum
Pour le bénéfice des lecteurs, je répète ce que je dis sur mes autres billets depuis 2012 : Un texte qui mentionnerait une épouse du Christ n’aurait rien pour ébranler quoi que ce soit (nous ne sommes pas dans le Da Vinci Code tout de même!) Cela dit, je suis toujours convaincu que le papyrus est un faux, un faux qui ne sert qu’à polluer la recherche historique et la réflexion théologique contemporaine.
Si le papyrus s’avérait authentique, je le placerais bien plus du côté du symbolisme nuptial inspiré du Cantique des cantiques, comme on le lit dans l’Apocalypse de Jean, plutôt que du statu matrimonial de Jésus. (ici et ici)
Alors je vis un ciel nouveau et une terre nouvelle, car le premier ciel et la première terre ont disparu et la mer n’est plus.
Et la cité sainte, la Jérusalem nouvelle, je la vis qui descendait du ciel, d’auprès de Dieu,
comme une épouse qui s’est parée pour son époux. (Apocalypse de Jean 21. 1-2)Alors l’un des sept anges qui tenaient les sept coupes pleines des sept derniers fléaux vint m’adresser la parole et me dit :
Viens, je te montrerai la fiancée, l’épouse de l’agneau. (Apocalypse de Jean 21. 9)L’Esprit et l’épouse disent : Viens !
Que celui qui entend dise : Viens !
Que celui qui a soif vienne,
Que celui qui le veut reçoive de l’eau vive, gratuitement. (Apocalypse de Jean 22. 17)
Et puis le billet de 2012.
Cela dit, le concept d’épouse du Christ est quelque chose de bien documentable dans la littérature spirituelle patristique. Mais ça ne signifie pas qu’il s’agisse d’un mariage dans le monde matériel, si je puis le dire ainsi. C’est comme le baiser sur la bouche que Jésus donne à Marie Madeleine dans l’Évangile de Philippe (un des pivot du Da Vinci Code et du livre Holy Blood and the Holy Grail). Ce baiser est le signe, ou le processus du transfert de l’Esprit et de la naissance spirituelle. On cite souvent en effet le logion 55 de l’Évangile de Philippe (les mots et les lettres entre crochets indiquent que l’éditeur les a restitués par une conjecture) :(55) La Sagesse qu’on appelle « la stérile » est la mère [des] anges et [la] compagne du S[auveur].
[Quant à Ma]rie Ma[de]leine, le S[auveur l’aimait] plus que [tous] les disci[ples et il] l’embrassait sur la [bouche sou]vent. Le reste des [disciples] [ . . ] . . . . . [ . ] . [ . . ] . . ils lui dirent : « Pourquoi l’aimes-tu plus que nous tous ? » Le Sauveur répondit et leur dit { } « Pourquoi ne vous aimé-je pas comme elle ? »
Mais on mentionne beaucoup plus rarement ce qui vient avant dans le texte et qui constitue la clé herméneutique, les logia 30 et 31 (j’ajoute les caractères gras) :(30) Tous ceux qui sont engendrés dans le monde c’est par la nature qu’ils sont engendrés, et les autres, c’est [d’où] ils sont engendrés qu’ils se nour[rissent]. L’homme, c’est de la [pro]messe qu’il re[çoit sa nourri]ture, en [vue du li]eu d’en haut. [S’il . . . . ] lui de la bouche – [d’où] provient la parole -, alors il serait nourri par (ce qui provient de) la bouche et il deviendrait parfait.
(31) En effet, les parfaits, c’est par un baiser qu’ils conçoivent et engendrent. C’est pourquoi nous aussi nous embrassons mutuellement et c’est par la grâce qui est en nous mutuellement que nous recevons la conception.
C’est une interprétation de la symbolique des noces dans le Cantique des cantiques («Qu’il me donne des baisers de sa bouche…») dont fait écho l’Apocalypse de Jean (les noces de l’Agneau) qui l’exprime littéralement : «L’Esprit et l’Épouse disent “Viens”» (Apocalypse 22.17). Nous (incluant les exégètes et les historiens) ne comprenons plus tellement bien ce langage qui exploite l’allégorie et la typologie. Mais c’est ainsi que les chrétiens s’exprimaient, ainsi que la branche rabbinique la plus mystique dans le judaïsme. J’ai un article sur ce sujet qui s’en va bientôt sous-presse “Husband and Wife as Spirit and Soul”.